top of page

APPORTS ET DISCUSSIONS

SUR LES CONCEPTS ET PRATIQUES DE LA PERMACULTURE

                                                                                                   

  Salzard M.                       

  Décembre 2017

ENTRETIEN AVEC  BLAISE LECLERC

​

Dans le cadre de la publication du Grand Livre de la Permaculture de Blaise Leclerc (éditions Leduc), nous avons eu le plaisir de nous entretenir avec ce référent de premier plan en agroécologie et permaculture.

​

Bien plus qu'une définition de la permaculture, c'est une analyse des enjeux environnementaux et socio-économiques actuels qu'il a partagé avec nous et que nous retranscrivons ci-dessous.

​

​

 

Blaise Leclerc

​

Docteur en agronomie, expert en fertilisation organique à l’ITAB

(Institut Technique de l’Agriculture Biologique)

et jardinier depuis 40 ans.

 

​

Blaise donne des conférences et des stages pratiques dans son potager. Il est l’auteur de très nombreux ouvrages sur le jardinage biologique.

​

Pour en savoir plus:

Publications aux éditions Terre Vivante

Formations

Comment vous êtes-vous initié à  la permaculture ?

​

Je me suis d’abord initié au jardinage. J’ai fait une maitrise de physiologie végétale à l’université.

À l’école agronomique de Toulouse j’ai fait ma thèse sur les fertilisations. En parallèle, j’ai toujours jardiné. 

J’ai commencé à 16 ans avec mon beau père. Après trois mois il a fallu qu’il accepte de ne plus mettre de produits chimiques sinon j’arrêtais ! Après j’ai eu mon jardin tout seul.

​

Ce qui rapproche beaucoup le jardinage bio et la permaculture, c’est que les principales techniques promues par la permaculture, si on oublie les buttes, qui pour moi sont anecdotiques, tout ce qui est paillage, cueillir les auxiliaires, sont des pratiques de jardinage bio, de jardinage naturel, et je fais ça depuis 20 ans.

Petit à petit j’ai vite compris, soit en lisant, soit en le voyant, que  le paillage était important. Comme j’avais un petit jardin, je me disais que je n’avais pas la place pour les engrais verts.

En fait, avec les rotations c’est possible et petit à petit je me suis mis à intégrer des engrais verts. 

Toutes ces techniques là je ne les ai pas mises en place d’un seul coup, c’est au fil des années et j’estime que je m’améliore toujours un petit peu. 

 

 

De plus en plus d’ouvrages apparaissent sur la permaculture. Quelle ont été vos motivations lors de la rédaction de ce livre ?

​

Je n’ai pas acheté tous les bouquins qui sont sortis sur la permaculture sinon ça m’aurait ruiné ! On peut parler vraiment de mode. Il y a beaucoup d’éditeurs ou d’auteurs qui font apparaître le mot permaculture sur la couverture pour augmenter les les ventes.. Le livre, c’est un livre de jardinage, qui peut être intéressant par ailleurs, mais ce n’est pas un livre sur la permaculture.

​

C’est pour ça que j’ai voulu me centrer, aller plus au fond des choses et voir quelle était l’idée de base de la permaculture.

​

Je pratique la permaculture depuis assez longtemps. J’ai acheté surtout les bouquins des pionniers, Bill Mollison et David Holmgren. Je me suis aperçu que ma pratique de jardinage depuis 40 ans était proche de la permaculture. Je faisais de la permaculture comme Jourdain faisait de la prose sans le savoir.

​

   J’ai prévenu l’éditeur quand j’ai fourni le synopsis que ce qui m’intéressait était de faire une enquête sur la permaculture. Où en est la permaculture à l’heure actuelle en France ?

​

Il y a une seconde partie plus pratique, où je fais part de mon expérience de jardinage en abordant à la fin certaines cultures sous l’angle de la permaculture.

 

Aujourd’hui nous écoutons parler, d’agroécologie, d’agriculture biologique, de permaculture. 

Comment définiriez-vous la permaculture ?

​

J’ai un peu l’habitude de tous ces termes, je vois ce qu’il y a derrière car je travaille dans l’agriculture biologique.

Ce que je retiens de la permaculture c’est qu’elle a été inventée par deux Australiens qui ont accolé les termes permanent et culture. Ils prévoyaient déjà à la fin des années 70 la descente énergétique ; que nous aurons épuisé les ressources, notamment les ressources pétrolières. Ils ont constaté que l’agriculture occidentale est basée sur le pétrole, ce qui est toujours vrai 40 ans plus tard. Ils ont alors imaginé un type d’approche de l’agriculture sans pétrole. Pour moi c’est ça l’idée de base et qu’ils développent bien.

 

Ce qui explique que ça a bien pris dans le milieu du jardinage amateur et maintenant de plus en plus auprès  des professionnels, notamment des maraichers bio, c’est que c’est plus facile de produire des légumes sans aucune machine que de produire du blé.

Pour les grandes cultures, c’est pour l’instant inconcevable de produire des aliments sans la force de la machine thermique.

La mode actuelle s’explique beaucoup car en jardinage, nous pouvons très bien produire tous les légumes pour une famille sans aucune machine.

​

Aujourd’hui  des professionnels développent la permaculture, comme  la ferme du Bec Hellouin en Normandie. D’autres professionnels  développent des techniques agricoles de petite surface sans machine comme Jean Martin Fortier au Québec.

​

Dans ce livre, j’explique le rapprochement entre les  mouvements de maraichage intensif sur petite surface et les initiatives  permaculturelles.

​

Ce n’est pas forcément pour des raisons énergétiques car le pétrole est encore bon marché en Europe et Amérique du Nord, mais à cause de la pression foncière.

Beaucoup de jeunes ne sont pas des enfants de paysans et n’ont pas accès au foncier. L’acquisition coutant très cher ils essaient de voir si sur de petites surfaces ils peuvent produire beaucoup de légumes de manière intensive.

​

 

Il s'agit d'une vision systémique de l’agriculture?

​

C’est vraiment ce qui est intéressant dans la permaculture, c’est cette vision systémique.

​

J’ai creusé un peu et je me suis aperçu que même les pionniers énonçaient parfois des faits qui étaient un peu discutables.

David Holmgren et Bill Mollison ne sont pas agronomes et les gens qui ont poursuivi le mouvement non plus. Parfois il y a franchement des erreurs qui sont annoncées sur les quantités, selon les types de matière organique à apporter, notamment les déjections animales.

Dans les techniques qui sont mises en avant et souvent un peu trop par ceux qui reprennent, comme les lasagnes ou les buttes, les quantités de matières organiques sont très importantes.  Si nous amenons des grandes quantités de compost ou de déchets verts il n’y aura pas trop de problème. Mais  si on apporte trop de fumier ça peut créer des pollutions des nappes phréatiques ou des déséquilibres chez les plantes.

​

Un livre qui va s’appeler « Le sol en permaculture » va donc sortir aux éditions Terre Vivante en février. J’y explique la permaculture mais donne également les éléments nécessaires pour bien cadrer les limites.

​

Dans la présentation du Grand Livre de la Permaculture, vous faites référence au concept « d’épuisement des ressources », quelles sont les dimensions que vous lui donnez ?

​

À l’heure actuelle nous exploitons et gaspillons beaucoup de ressources. Finalement nous courons le risque que le pétrole s’épuise moins vite que certaines autres ressources minières et que les métaux rares s’épuisent avant le pétrole.  Le pétrole étant utilisé pour extraire ces métaux rares, il vaudrait mieux que le pétrole s’épuise en premier pour limiter ce risque. C’est un gros risque très peu mentionné, qu’il n’y a pas que le  pétrole.

 

​

Vis-à-vis de l’apprentissage des pratiques agricoles, quel rôle donnez-vous à la théorie ?

​

C’est complémentaire il faut les deux, mais il faut vraiment les deux.

Même au niveau des écoles  d’ingénieur agro, après quatre ou cinq ans nous avons un diplôme d’ingénieur mais un ingénieur qui veut s’installer paysan doit encore beaucoup apprendre.

​

La pratique est très importante. Par exemple la question des cultures en buttes. Quand on parle à des jardiniers, des journalistes, pour eux la permaculture c’est la culture sur buttes, alors que ce n’est pas du tout ça.

Ici, je ne me suis jamais amusé à faire des buttes au jardin, j’ai une très bonne terre, je n’en ai pas besoin. En Provence, les terres souvent sableuses et la présence du mistral sont défavorables à la culture sur buttes.. Dans d’autres situations avec un terrain argileux, plus humide, ça peut être très intéressant. 

Par exemple, dans une ferme ils ont voulu appliquer bille en tête la culture sur butte et ont mis des troncs de noisetier. Mais le noisetier est reparti et ils ont été obligé de tout démonter car ils avaient du noisetier entre les salades et les choux ! C’est une question de pratique.

​

La permaculture est intéressante pour la conception, le design, mais n’apprend pas à planter des carottes et des radis. Il y a des personnes qui s’installent et se cassent vite la figure par manque d’expérience.

C’est bien de faire un stage de permaculture et de compléter avec un stage chez un maraicher de préférence  bio pendant quelques mois pour apprendre simplement à connaitre les légumes.

​

De toute façon on apprend tous les jours. Après 40 ans à faire des légumes je me trompe encore parfois. Certains légumes sont toujours plus délicats à faire que d’autres.

​

​

 

​

Il y a peut-être trois types de stages. Les stages de permaculture sur le concept, les principes, les zones etc. Des stages plus pointus sur les auxiliaires, le sol et enfin des stages de type woofing sur plusieurs semaines ou plusieurs mois.

 

Les initiatives permaculturelles sont en plein essor, quel est selon vous le panorama en Provence ?  

​

Ce qui est intéressant et se met de plus en plus en place dans la région, ce sont les jardins partagés : à Cucuron, à Cadenet, à Vaugines et autres villages de la région.

​

Au niveau professionnel, c’est sûr que ça va se développer, il y a eu beaucoup d’installations ces dernières années en France, notamment en maraichage.

 

​Quels sont les défis qui restent à relever pour assurer une pérennité des projets ?

​​​

Quand on jardine pour soi et sans compter seulement sur le jardin pour se nourrir, les enjeux sont différents.

​

Une question importante à l’heure actuelle est que certaines personnes font un stage et veulent s‘installer et vivre directement de leur activité agricole. Pour cela,  il faut vraiment réfléchir à un plan d’installation.

 

Dans la démarche des gens qui veulent s’installer en petite surface, vu de l’extérieur l’aspect des débouchés commerciaux me semble le plus compliqué.

Les AMAP fonctionnent très bien. Elles n’arrivent pas à répondre à toute la demande et les maraichers bio n’arrivent pas à suivre. Néanmoins, les personnes qui s’installent sur de toute petites surfaces produisent beaucoup moins donc il faut une valeur ajoutée plus importante à la vente et c’est compliqué. Sur les marchés ils nécessitent une gamme d’une cinquantaine de produits et une vente la plus directe possible.

​

Le réseau Fermes d’Avenir, propose depuis peu un nouveau métier. Ils parlent de payculteur.

Le payculteur serait le chainon manquant entre l’agriculteur et le consommateur, le particulier, la collectivité ou le  restaurant. Souvent l’agriculteur n’a pas le temps de valoriser ses produits et les collectivités ou restaurants n’ont pas le temps non plus d’aller chercher des produits de qualité. Dans le Luberon il serait possible  de créer un poste comme ça.

 

Dans ce livre, je soulève la question des jardins partagés. À Cucuron, une association s’est créée. La municipalité met à disposition les terres et une convention entre l’association et la mairie délimite un cadre. Par exemple, nous ne pouvons pas planter de gros arbres. En permaculture l’idée est  d’avoir  des arbres fruitiers donc cela pose question au niveau de l’organisation en commun. C’est très intéressant car ça permet de réfléchir à d’autres formes d’organisation.

​

Dans tous les cas l’objectif n’est pas de faire concurrence aux maraichers sinon d’aller vers une certaine autonomie. C’est intéressant d’autant plus qu’il y a de plus en plus de personnes à temps partiel ou sans emploi.

De plus en plus de personnes cherchent à avoir des potagers non seulement pour prendre l’air et avoir des bons produits mais aussi pour produire une partie de leur alimentation.

​

J’entends parler de la crise depuis 40 ans mais ce n’est plus une crise c’est un changement, la fin d’un système. Si une vraie crise arrivait du jour au lendemain il y aurait une rupture d’approvisionnement on serait très très mal.

​

Cela deviendrait presque un impératif de produire une partie de son alimentation ?

​

Dans le livre « Comment tout peut s’effondrer » un écologue et un géographe ont mené une enquête bibliographique et consulté des experts en essayant de voir les scénarios catastrophes qui pouvaient nous attendre. Finalement dans leurs conclusions la fin du pétrole n’apparait pas comme le pire scénario car nous pouvons plus ou moins le prévoir.    

C’est plutôt une crise financière comme nous avons eu en 2008 mais dix fois plus forte.

Bill Mollison et David Holmgren ne  pouvaient pas le prévoir car à l’époque il n’y avait pas les bulles financières que nous connaissons maintenant. Cela pourrait être très grave et totalement imprévisible.

Depuis plusieurs années nous faisons des efforts en traction animale,  mais cela ne représente rien du tout.  On ne sait plus faire pousser du blé avec les chevaux.

Dans la démarche de la permaculture, des écologues et aussi des ethnologues ont étudié les populations australiennes, les aborigènes. Depuis 10000 ans ils n’ont pas de problèmes pour vivre tous seuls alors que dans les pays occidentaux nous ne savons pas faire ça, vivre 10000 ans sans pétrole. Ils donnent l’exemple des aborigènes mais il y a beaucoup d’autres endroits comme en Amazonie par exemple. Malheureusement ils ont de plus en plus de mal et tout ce savoir est perdu…

Crédit photographie: Jean-Jacques Raynal

Qu’en est-il au niveau des aspects socio-culturels ?

​

Maintenant quelqu’un qui veut faire du jardinage ne dit plus je vais faire du jardinage mais je vais faire de la permaculture.

​D’ailleurs le mot  permaculture est aussi maintenant dans le mouvement « En transition » initié par Rob Hopkins. Dans le premier chapitre de son livre « Le manuel de la transition », il illustre par de multiples documents la baisse du pétrole.

Quand il inaugure la fête de la transition d’un village en Alsace, une personne demande si il base toujours son mouvement sur le fait que bientôt il n’y aura plus de pétrole. Rob Hopkins répond que non car il dit avoir compris que ce qui motive les gens à faire des choses ensembles c’est en grande partie le fait d’être ensembles, de faire la fête, de partager.

Maintenant, c’est ce qu’il met en avant dans ses conférences.

J’ai beaucoup travaillé sur le compostage. Dans le  développement des premiers  composts de quartier un des promoteurs en Charente,  un agriculteur qui fait le compost avec le fumier de ses vaches, a aidé son village à développer le compostage.

​Nous avons eu plusieurs réunions nationales et il expliquait que ce qui marchait le mieux c’était son accordéon. A chaque fois la session se terminait par un bal et les gens se sont mis à faire du compost parce qu’ils venaient faire la fête avec lui.

Son expérience à lui  c’était ça. Si il n’ y avait que de la technique ça se serait arrêté.

​​

Dans une approche de transition,  si on ne relie pas tout le monde, les initiatives de jardins partagés, de monnaies locales, de transports en commun etc. cela ne peut pas fonctionner. 

​

​

Quels sont les principaux conseils que vous donneriez à un débutant motivé par la permaculture ?

​

Il faut se lancer et y aller progressivement. C’est important au niveau du jardinage. Quand on a jamais jardiné il faut commencer avec un mètre carré. Le risque si on veut commencer de suite trop grand est de ne pas y arriver, de se décourager et ne plus y retourner.

 

En permaculture ou dans les mouvements de transition, on constate qu’il n’y a que l’exemple qui permet de changer les gens et d’apprendre. Il faut voir, il faut faire.

​

                                                        FIN.

bottom of page